«La Tribune»

Elise Courcol-Rozès

  • U+0052-003

    Lettre maj. latine R

  • BRETIGNY NOTRE VILLE

    Titrage

  • s.n.

    Impression couleur, 2,2 × 1,9 cm

  • Brétigny Aujourd’hui, №53, p.1

    01.01.1990

«La Tribune»
Commissariat: Équipe du CAC Brétigny 

Le travail d’Elise Courcol-Rozès navigue entre recherches théoriques et expérimentations partagées. L’artiste s’intéresse aux mécanismes à l’œuvre dans les échanges humains. Son travail s’appuie sur la pensée d’auteur·rices, sur des observations du quotidien, ou encore sur des conversations et réflexions sur les formes de sociabilité, pour proposer des formes simples qui appellent à des actions.

L’un des points de départ de Wood Piece (2016-2017) est ainsi la notion de don et contre-don pensée par Marcel Mauss. Selon l’anthropologue, dans de nombreuses sociétés humaines, un don doit être suivi d’un contre-don: l’obligation de «donner, recevoir, rendre» est ce qui fonde le lien social sur la réciprocité des échanges. Elise observe également les gestes commerciaux sur de nombreux marchés, et s’intéresse à l’usage des ancêtres de nos monnaies. C’est avec tout cela en tête qu’elle propose à des personnes a priori non artistes, des adultes qui ne se connaissent pas ou des enfants d’une même classe, de mettre en jeu ces notions. Pour cela, elle crée des objets en bois de différentes formes, poids et textures. Si ces derniers donnent envie de les manipuler et que leur aspect peut évoquer des choses quotidiennes, ils n’ont d’autre utilité que de pouvoir être échangés. Le groupe est invité à se les donner, à les recevoir et peut-être à les rendre, pour le plaisir de voir ce que cela fait à la dynamique collective.

Les projets de recherche-création d’Elise se penchent sur les objets et les espaces pour se demander quels usages ils induisent. L’artiste s’intéresse à la manière dont les formes ou les architectures qui nous entourent influencent les rapports sociaux. Depuis 2022, elle conduit un projet au long cours nommé La Tribune, sur la perception des tribunaux par les personnes impliquées dans un procès. Les témoignages récoltés auprès de prévenu·es, témoins et victimes relatent ce qu’elles et ils ressentent face aux mécanismes de pouvoir incarnés et mis en place par les architectures des palais de justice. Elise en tire des maquettes construites avec des matériaux simples: une arène en papier, un escalier en bois dont les contremarches manquent, un sol en damier évoquant un échiquier… autant de formes illustrant les impressions des personnes amenées à prendre la parole lors d’un procès.

La résidence de recherche et de co-création de l’artiste s’inscrit dans la continuité de ses enquêtes sur la justice, ses espaces et la place de la parole de chacun·e dans la procédure judiciaire. Lors de temps de co-création à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, elle propose aux détenu·es de jouer des possibilités liées au design. Les imaginaires attachés au terme et à la discipline qu’il désigne peuvent être détournés pour offrir un espace de liberté créative. En bricolant à partir d’éléments récupérés, il s’agit d’«inventer [ensemble] le quotidien», en s’engouffrant dans les brèches d’usages des institutions étudiées par Michel de Certeau. Dans son livre L’Invention du quotidien (1990), il étudie en effet la manière dont les comportements quotidiens des individus détournent sans cesse les attendus de celles et ceux qui conçoivent nos espaces et nos institutions. Par des gestes simples, l’artiste et les participant·es tentent ainsi de jouer avec les possibilités limitées du milieu carcéral.

Marie Plagnol

Elise Courcol-Rozès (née en 1992) vit et travaille à Marseille. Elle est diplômée de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, ainsi que de l'École des hautes études en sciences sociales. Sa pratique de l’installation, de la performance et de l’édition est nourrie de l’observation de certains enjeux socio-politiques et de méthodes de recherche en sciences humaines. Son travail s’ancre régulièrement dans des structures sociales (centre pénitentiaire, hôpital psychiatrique, écoles et collèges) dans une démarche de co-création. Elle participe à des programmes d'accompagnement ou de résidence tels que Création en Cours en 2017, la Villa Belleville en 2019, Artagon Marseille en 2022 et elle est lauréate de la bourse Mécènes du Sud en 2022.