Coline Sunier & Charles Mazé

L'Enseigne

  • U+0039-000

    Chiffre neuf

  • Le Journal des Yerrois - décembre 2020 ⊏9⊐

    Pagination

  • s.n.

    Impression couleur, 0,3 × 0,4 cm

  • Le Journal des Yerrois, №261, p.9

    12.2020

Coline Sunier & Charles Mazé, L’Enseigne, 2020.
Caisson lumineux, 1280×1280mm. Production CAC Brétigny—sous la direction de Céline Poulin.

Notre vie quotidienne est rythmée d’une multitude de signes. Ainsi, en croisera-t-on plusieurs sur le chemin qui nous mène au CAC Brétigny, que l’on soit à pied, à vélo ou en voiture. Parmi eux, la croix verte d'une pharmacie, un feu rouge ou le néon d'un buraliste jalonnent notre déplacement et ponctuent notre lecture de la ville. Ils nourrissent nos imaginaires en même temps qu'ils nous informent sur celle-ci, ses activités et ses habitant·es, l’illuminant de nuit comme de jour. Les enseignes écrivent les lieux: elles les inscrivent spatialement, tout en racontant une existence collective partagée à leur manière de signifier pour tou·tes la même chose. S'en dégage d'ailleurs bien souvent une interprétation immédiate et sans effort, révélatrice d'un souci de clarté à l'origine du signe, en même temps que d'une lecture «apprise» et digérée, résultant de son impression répétée sur nos rétines. N’est-ce pas là le signe que ces signes nous indiquent avec fermeté le sens qu'il faut leur adjoindre sans que notre propre subjectivité ne soit mobilisée? Nous prenons conscience de leur sens attendu, y adossant même parfois des gestes exigés—comme s'arrêter à un feu rouge.

Pour Philippe Artières, «il existe non seulement une raison graphique mais un pouvoir d'écriture qui imprime à nos vies des façons de penser et d'agir»[1]. En éditant la ville, son rythme et ses usages, l'enseigne en dicte les horizons possibles—entre rêve, contrôle et consommation. «Le propre de la quotidienneté est de cacher comme signe ce qui se donne comme sens»[2], faisant «oublier» à notre cerveau tout le travail d'interprétation qui le lie au réel—et qui passe, justement, par le signe. L’enseigne semble vouloir assigner son interprétation. Mais que se passe-t-il lorsque le sens du signe ne se donne pas de manière immédiate et qu'il résiste à l’interprète? Que nous apprennent les méprises et l’ambiguïté?

En arrivant au CAC Brétigny, on aura pu hésiter un peu sur la porte vers laquelle se diriger avant que la silhouette blanche et cubique d’une enseigne ne nous en suggère le chemin. Selon notre angle d’approche du bâtiment, on y aura lu un C ou un A, une indication pour le moins minimale—voire impertinente—mais suffisamment curieuse pour que nous ayons la puce à l’oreille. Notre arrivée éclairée nous aura permis de deviner un dé dont les faces égrènent les lettres C, deux fois, A et B, une fois. En plus de bien d’autres choses, on pourra ainsi y lire, contre tout hasard, CACB. C’est donc que, quelque part, nous y sommes arrivé·es.

Qu’à cela ne tienne, l’enseigne imaginée par les graphistes Charles Mazé & Coline Sunier, signale plus qu’une destination, à sa manière elle nous rappelle le cheminement que nous empruntons quand signe, il y a. C’est là, le début d’un enseignement. À la fois icône «électrographique»[3] (un white cube) et jeu mallarméen, L’Enseigne ébauche la possibilité du lieu et de ses usages. En offrant une lecture partielle d’elle-même, quelque soit le point de vue depuis lequel on la regarde, elle nous résiste, nous donnant à penser les conditions d’émergences de l’interprétation. Une manière de nous réinstaller comme interprète des signes et de nous inviter à reprendre une forme d’agentivité sur le seuil d’un lieu dont en tant qu’usager·ères, nous sommes le noyau. À nous donc les signes qui, une fois la porte du centre d’art franchie, se donneront à voir, à écouter, à lire, à sentir et à échanger.

Elena Lespes Muñoz

[1] Philippe Artières citant Jack Goody (La raison graphique, 1977) en avant-propos à son ouvrage Les enseignes lumineuses. Les écritures urbaines au XXe siècle, coll. «Le rayon des curiosités», Paris, Bayard, 2010, p.9-10.

[2] Bruce Bégout, dans Lieu Commun, Paris, Éditions Allia, 2009, p.67.

[3] Ibid. p.65.


Coline Sunier & Charles Mazé sont designers graphiques et typographes. Entre 2008 et 2018 ils vivent et travaillent aux Pays-Bas, en Belgique et en Italie, et sont maintenant installés à Marseille et Paris. Ils ont été pensionnaires de l’Académie de France à Rome—Villa Médicis en 2014-2015 et sont designers graphiques en résidence au CAC Brétigny et au CRAC Alsace. Coline Sunier (FR/CH) enseigne à l’institut supérieur des arts de Toulouse (isdaT). Charles Mazé (FR) intervient à l'Atelier National de Recherche Typographique (ANRT) à Nancy. Ils sont co-fondateurs de la structure éditoriale <o> future <o>.