Avant 1991
Centre Culturel Gérard Philipe
Du CCCB au CACB
En 1974, le Secrétariat général du groupe central des villes nouvelles dote chacune d’elles de cellules «arts plastiques», qui deviennent bientôt les symboles de la décentralisation culturelle. Brétigny-sur-Orge n’est pas à proprement parler une ville nouvelle comme ont pu l’être Évry, Marne-la-Vallée ou Cergy-Pontoise. Mais elle bénéficie des répercussions de ce moment significatif où les pouvoirs publics, avec la mise en place des «1% artistique», aspirent à ce que l’artiste devienne «le partenaire direct de l’urbaniste»[1].
Cette même année, Gilles Arnoult, ancien animateur du centre culturel de Villeparisis et directeur du tout nouveau Centre Culturel Communal de Brétigny y organise les premières manifestations «arts plastiques». Le CCCB est abrité à l’époque par le centre Gérard Philipe, situé à quelques pas de l’actuel emplacement du centre d’art. Art actuel, estampes contemporaines et dessins y sont présentés en alternance pendant les premières séquences, avec les travaux de très jeunes artistes, les réalisations d'illustrateur·rice·s de presse ou encore des affiches, notamment du continent latino-américain. Deux ans plus tard, Gilles Arnoult recrute le plasticien Otto Teichert, qui dessinera et développera la programmation de cet espace jusqu’à la fin de l’année 1985.
Nous sommes aux prémices de ce que l’on nommera plus tard les centres d’art en France, lesquels sont souvent nés de la volonté d’artistes engagé·e·s, qui ont su saisir un contexte et des outils pour structurer un environnement propice à la création. Dans le cas du futur CAC Brétigny, ce contexte est favorisé par le soutien marqué du maire communiste de l’époque, Alain Blin, ainsi que de son adjoint à la culture, René Julienne, qui relaient la dynamique et l’orientation contemporaine impulsée par Otto Teichert.
À partir de la fin 1977, ce dernier associe Philippe Cyroulnik, critique d’art et chargé de cours à l’université Paris 8, qui lui apporte son concours extérieur et collabore à la programmation. Un rythme soutenu d’expositions est mis en place, de cinq à sept par an, monographiques ou collectives, où se distingue un goût prononcé pour la peinture et le dessin. Une priorité est donnée au soutien et à la promotion de jeunes plasticien·ne·s, à partir de visites régulières d’ateliers, prioritairement en Île-de-France mais également au-delà. Le principe de la «carte blanche» est par ailleurs pratiqué, consistant à confier la conception de projets à une personnalité invitée. Un principe qui permet de nouvelles découvertes, notamment dans le domaine de la photographie.
Profitant de ses liens privilégiés avec l’université, Philippe Cyroulnik encourage la venue d'étudiant·e·s-stagiaires qui participent à la mise en place progressive d'un service éducatif et scolaire au sein du centre culturel, à une époque où la médiation n’avait pas encore de nom. Otto Teichert apporte un soin tout particulier au fait de documenter les expositions et les événements qui s’y déroulent, à travers la publication de documents sur les artistes, la commande de textes à de jeunes critiques, et l’édition de vidéos sur l’art contemporain en relation directe avec les expositions présentées. Cette logique de transmission se retrouve également dans les relations étroites qui sont nouées avec les établissements scolaires avoisinants, et notamment avec le lycée Jean-Pierre Timbaud où sont donnés des cours d’arts plastiques qui trouvent une résonance avec les activités du centre culturel.
Maillage
En 1981, les responsables Arts Plastiques de différents établissements à vocation culturelle de la périphérie de Paris décident de se regrouper au sein d’un organisme commun, le IAPIF (Information Arts Plastiques Île-de-France). Cette association loi 1901 rassemble le Centre Culturel Communal de Brétigny, le Centre d’action culturelle de Corbeil-Essonnes, la Galerie Municipale et les Ateliers d’Arts Plastiques de Gennevilliers, le Service Municipal d’Art Plastique de Choisy-le-Roi, le Centre d’Action Culturelle de Saint-Cyr-l’École, le Centre culturel de Villeparisis, enfin le Centre d’Action Culturelle Les Gémeaux de Sceaux.
Cette initiative permet ainsi aux villes de se constituer une collection selon le protocole suivant : les six lieux procèdent conjointement à un achat global à un·e artiste, à qui ils consacrent une exposition comportant d’une part un fonds commun, d’autre part des œuvres originales qui renouvellent l’exposition à chaque étape. Parmi les artistes exposé·e·s figurent notamment les peintres Erró, Joël Kermarrec et Jean Degottex. Chacune des villes acquiert une œuvre de l’artiste proposé·e, selon une répartition par tirage au sort. Préfigurant le maillage TRAM[2], le IAPIF a marqué en tout état de cause une tentative précoce de travail en réseau. Il témoigne d’une conscience aigüe des bénéfices d’une mutualisation des compétences, des expériences et des connaissances, dans une logique de soutien effectif aux artistes d’une part et de professionnalisation des structures d’autre part, tant en termes financiers qu’en termes de visibilité.
Dedans, dehors
À partir de 1982, Otto Teichert met sur pied, avec la collaboration de Philippe Cyroulnik, une initiative annuelle intitulée «Dedans.../ Dehors.../ Propositions», qui consiste à présenter des œuvres d’atelier et éphémères de manière simultanée dans la galerie du centre Gérard Philipe et à l’extérieur (en particulier in situ, dans le vaste jardin de sculptures aménagé à cette occasion et/ou dans la cité). Ce programme sera poursuivi jusqu’en 1991.
À la fin de l’année 1985, Otto Teichert quitte le CCCB et fonde quelques mois plus tard—avec Philippe Cyroulnik et Thierry Sigg—le Crédac, centre d'art contemporain d'Ivry-sur-Seine[3], qui rejoindra le réseau IAPIF. C’est l’artiste Jean-Michel Espinasse qui assure, de 1986 à 1991, l'organisation et la programmation arts plastiques du centre culturel. Il présente chaque année, en alternance, «sans exclusive d’école ou de genre»[4], une exposition IAPIF, une exposition «Dedans-Dehors», une exposition de jeune peinture, et une exposition monographique.
En 1986, à la demande de Jean de Boishue, maire de Brétigny, le service culturel de la Ville est chargé de rassembler et constituer une collection[5] d'œuvres contemporaines, afin de conserver une mémoire de l'action menée par la Ville dans le domaine des arts plastiques.
L'Espace Jules Verne, qui abrite aujourd’hui le CAC Brétigny, est inauguré en 1988. Il capte l'activité initiée au centre Gérard Philipe, en intégrant un espace dédié aux arts plastiques, une médiathèque et un théâtre. Le centre culturel devient un équipement municipal, entérinant un processus de «municipalisation de la culture» très emblématique de la fin des années 1980 en France[6]. Jean-Michel Espinasse quitte l'Espace Jules Verne en 1991. La huitième et dernière exposition de la série «Dedans.../ Dehors.../ Propositions» qui réunit les artistes Cécile Bart, François Deck et Jean-François Grand, est organisée par Francis Bentolila et Xavier Franceschi, tout juste nommé responsable des arts plastiques de la Ville.
Manon Prigent, avec l’aide précieuse d’Otto Teichert.
Notes
[1] Dossier région Paris Île-de-France. Supplément au ARTS INFO N°40 SEPT.-OCT. 1987, p. 16.
[2] Fondée au milieu des années 1990, TRAM est une association qui fédère 32 lieux engagés dans la production et la diffusion de l’art contemporain en Île-de-France.
[3] Otto Teichert quitte ensuite le Crédac pour diriger l’École d’art de Mulhouse avant de prendre les directions successives des Écoles supérieures d’art de Limoges, Marseille et Strasbourg, de 1997 à 2013.
[4] Dossier région Paris Île-de-France. Supplément au ARTS INFO N°40 SEPT.-OCT. 1987, p. 5.
[5] Cette collection est aujourd’hui placée sous la responsabilité de la communauté d’agglomération de Cœur d’Essonne, suite au transfert de compétences de la ville à l’agglomération du Val d’Orge, puis à la communauté d’agglomération qui est née de la fusion des deux anciennes agglomérations de l’Arpajonnais et du Val d’Orge.
[6] Voir Philippe Urfalino, L'invention de la politique culturelle, la Documentation française, Paris, 1996, p. 279.